Être ou ne pas être Brett Anderson

Sur Facebook, je suis inscrit dans des groupes de fanatiques du groupe Suede et de son chanteur Brett Anderson. En ce moment — parution de l’album AUTOFICTION et tournée internationale — c’est l’ébullition totale: les membre de ces groupes n’en finissent pas de poster des photos et vidéos des concerts et des rencontres avec les membres du groupe qui peuvent s’en suivre. Je ne reviendrai pas sur le fait que j’ai cette année raté deux concerts de Suede. Je veux surtout parler de Brett Anderson. Plus le temps passe — je l’ai déjà écrit quelque part: ma maladie et ses comorbidités m’empêchent de grandir — et plus j’ai envie d’être cet homme: plus âgé que moi (55 ans) mais toujours pourvu d’une énergie adolescente, il est beau, mince, chante comme un Dieu, possède une chorégraphie pantomimique unique toujours à la limite entre la classe ultime et le ridicule, est raffiné, lettré, anglais et plus que tout londonien, et j’en passe. Bis repetita: je l’ai déjà écrit quelque part, enfant, adolescent et jeune adulte, je rêvais d’être un héros. Peut-être aurais-je dû persister dans la voie de la chevalerie (mon rêve entre 6 et 8 ans); considérant la fascination de Comment s’appelle-t-elle déjà?  (φ) pour le Moyen-âge, cette dernière serait automatiquement tombée amoureuse de moi. Plus sérieusement, à l’adolescence, j’étais obsédé par l’idée d’atteindre un jour le niveau national en course à pied, et j’y serais peut-être arrivé si je n’avais pas eu une jambe franchement plus courte que l’autre. Un peu plus tard, vers 23–25 ans, après m’être abreuvé de littérature américaine, je me mis en tête de devenir écrivain (ce qu’est également Brett Anderson), noircissant différents carnets d’ébauches éparses, brouillonnes et inabouties à la Brett Easton Ellis, avant d’être absorbé par la rédaction de ma thèse — livre en soi que personne n’a jamais lu à part les membres du jury de la soutenance du mémoire. En parallèle, vers le même âge, fasciné par des chanteurs ou chanteurs–guitaristes iconiques comme Billy Corgan (The Smashing Pumpkins) et surtout bien sûr Brett Anderson, je me construisis un autre objectif: devenir rock star. Je pris des cours de chant: au bout de deux mois, je coupais court — j’étais littéralement incapable de chanter en rythme. J’étais ambitieux mais frustré; la vie passant, je mis de côté tous ces projets hors de portée et me satisfis de ma réussite dans les domaines professionnels et amoureux. En 2013, cependant, lorsque je vivais au Chili, Suede se reforma: ma compagne de l’époque ne se lassait pas de me voir, le soir après le travail, me déguiser en Brett Anderson et chanter (presque en rythme) et me trémousser sur des chansons comme “Filmstar” ou “Snowblind”. J’étais rock star pour celle que j’aimais profondément, je n’avais guère besoin de plus. La suite est connue: occurrence de la maladie, séparation, décompensation maniaque et retour au pays la queue entre les pattes, juste au moment de la sortie de l’album Night Thoughts de Suede. Élargissons un peu. Durant l’été 2018, en pleine ascension hypomaniaque, je dévorai en quelques jours deux livres: Black Coal Mornings de toujours le même homme et Noël en février de Sylvia Hansel. Ces deux lectures furent des révélations. Voici le moment de revenir à une échelle décente. Sylvia Hansel (voir cette page et celle-ci) fait partie de mes ami(e)s sur Facebook: je la connais cependant à peine (l’ “amitié” sur Facebook étant ce qu’elle est), même si nous nous croisions beaucoup dans les années 2000, toujours bourrés et toujours avec la même blague débile dans laquelle nous étions mariés ou devions nous marier, ritournelle qui traduisait au fond peut-être la répulsion que nous avions l’un pour l’autre — le soir de la (dramatique) finale de la Coupe du Monde de football en 2006, nous étions tous les deux dans la même soirée, il faisait très, trop chaud, je m’étais foutu torse nu et elle avait critiqué les grains de beauté que j’avais sur la poitrine, grains de beauté que je détestais (et que j’ai depuis fait retirer), et je me mis à la haïr pour ça. Je m’égare. Je voulais juste dire que j’ai beaucoup d’admiration pour ce genre de personne: si Sylvia Hansel ne roule apparemment pas sur l’or, à l’approche de la quarantaine (enfin, je crois), elle a quelque part réalisé ses rêves: devenir à la fois rockeuse et écrivaine (en plus madame fait de la course à pied) — oui, vous avez compris: elle est en quelque sorte en femme l’homme que je voulais être (même si je préférerais quand même largement plus être Brett Anderson: ah! Ah!). Je suis un peu à l’opposé: si beaucoup de choses m’ont réussi dans ma jeunesse (études et emplois enviés, participation à des courses à pied de haut niveau, etc.), l’entrée dans le domaine de la psychiatrie à la quarantaine a changé beaucoup de choses: attirance accrue pour les drogues, plongée dans un tabagisme irrégulier mais fréquemment massif (ma psychiatre m’a mentionné qu’il est démontré scientifiquement qu’au moins chez les schizophrènes le tabac augmente considérablement les capacités de concentration), réduction à une presque totale inactivité professionnelle, temps perdu infini à écrire des blogs médiocres, invraisemblables et diffamatoires (celui-ci mis à part… Enfin je crois), chute vertigineuse des capacités physiques — sauf lorsque je suis gavé d’antidépresseurs comme cela fut le cas durant l’hiver et le printemps (piège! C’est bien beau de pouvoir courir 20 ou 30 km par jour même en fumant un demi paquet de clopes si c’est pour passer des mois en dépression ensuite; à part l’équilibre psychologique (ce qui est déjà beaucoup), je n’ai plus aucune ambition dans ce domaine: j’ai trop donné dans ma jeunesse, cela craque de partout lorsque je sors m’esbaudir, je vais à l’allure d’un débutant et je sens clairement que les médicaments pour traiter la bipolarité me fatiguent. Tiens, je me demande si Brett Anderson court (je demanderai au bassiste de Suede, Mat Osman, qui me lit systématiquement lorsque j’écris sur ce blog en anglais et mentionne son nom sur Twitter). Mais peu importe: Brett Anderson est depuis 30 ans mon héros et le restera. Être ou ne pas être Brett Anderson (ou Sylvia Hansel), telle est la question. Non? Mon ancien chef et mentor scientifique lorsque j’étais au Chili m’a encouragé à essayer d’écrire un roman de fiction. Pourquoi pas? Si je reste en arrêt maladie, cela pourrait constituer le “projet” que ma psy m’incite à trouver. Mais je ne me sens pas encore prêt: formaté par ma carrière scientifique passée pour écrire des textes courts, je suis surtout encore trop handicapé par mon défaut d’attention chronique et mon manque d’imagination — éternel narcissique, même lorsque je me dégoûte je sais surtout écrire sur moi-même —; je dois aussi me remettre à lire davantage afin d’apprendre à hausser mon vocabulaire et ma syntaxe (mais je ne parviens à lire que le soir…). Sur ces bonnes paroles, je vais m’attacher à terminer rapidement le dernier Despentes pour pouvoir reprendre Afternoons With The Blinds Drawn de Brett Anderson (anglais très [trop?] soutenu) et m’offrir Les adultes n’existent pas (quel titre! C’est pour moi, ça) de Sylvia Hansel. Eh! Vous vous rappelez du Péril Jeune de Cédric Klapisch, lorsque le groupe de potes échangent leurs projets pour le futur: “moi je me vois bien champion du monde” dit Alain Chabert (Vincent Elbaz); “de quoi?”, lui demandent les autres; “je ne sais pas… Mais champion… Du monde”, répond-il. Nous avons tous rêvé d’aller au bout de nos rêves (aïe, aïe, aïe, associer dans le même article Brett Anderson, Sylvia Hansel et Jean-Jacques Goldman, quel risque je prends là). Peu d’entre nous y arrivent. Mais, pour citer cette fois Henri Laborit, “c’est dans les rêves que se situent les plus belles choses”. Je continuerai donc à rêver d’être Brett Anderson — et de le rencontrer un jour en face à face.

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