Ainsi y suis-je enfin: l’équilibre, la surface, le niveau zéro, la “normalité”, la stabilité d’humeur, la so-called euthymie. Et pourvu que ça dure, même si c’est un peu dur (voir plus bas pourquoi). Je ne m’adonne pour le moment avec mesure qu’à des activités nécessaires (faire les courses, le ménage…), ludiques (un peu de sport, balades dans Paris, cinéma, fréquentation des médiathèques…), et à de “petits exercices intellectuels” (relativement courts posts sur ce blog, publications et réactions sur Facebook…) — et, pour être tout à fait franc, cela me fatigue; je dors ainsi beaucoup, beaucoup, beaucoup. Rien d’inquiétant, il n’y absolument pas à voir dans cette fatigue les prémices d’une rechute en dépression: après trois ans presque continus (laissons de côté les montagnes russes connues en clinique dues à l’incompétence du psychiatre qui me suivait) à ne presque rien faire, à n’avoir d’intérêt pour rien, après la débauche d’efforts que requiert un emménagement, une frénésie, une infatigabilité seraient inquiétantes — la marque d’un probable virage maniaque. Et, pour le moment, dans cet état, je ne me vois absolument pas capable de reprendre une activité professionnelle: je suis trop faible et mes moments de concentration sont trop limités. Rien ne presse, chaque chose en son temps.
Suis-je heureux? Je suis mi-figue, mi-raisin. Car il y a évidemment d’autres choses. On m’avait prévenu. Il m’avait prévenu, cet hiver, en clinique, cet homme un peu plus jeune que moi mais au profil très similaire au mien: la diminution et la suppression totale des antidépresseurs peut constituer une pilule difficile à avaler lorsque l’on sort de la dépression et que l’on cherche à tout prix à éviter le virage maniaque. Et, pour aller plus loin, chez un bipolaire stabilisé, existera toujours la “nostalgie du UP”, la “nostalgie de l’hypomanie”. Je n’évoque pas ici les phases maniaques délirantes, hallucinatoires, paranoïaques et agressives par lesquelles j’ai pu passer en 2017 et 2018–2019. Non, le UP jouissif, véritable drogue–piège menant souvent justement à la manie surtout lorsque des comportements déviants (consommation de stupéfiants, notamment) s’y associent, correspond à un état situé significativement au-dessus de la surface (entre +2 et +4 sur une échelle thymique allant de –10 à +10), dans lequel le sujet se sent très euphorique, créatif, productif, (sur)puissant, infatigable, véritablement amoureux de la vie en général et de sa vie en particulier, vivant au jour le jour sans peur et sans reproche dans l’excès. J’ai connu des bipolaires nostalgiques de raids à 150 km/h sur l’autoroute, d’autres nostalgiques de périodes de libido surdéveloppée et de multiplicité de relations purement sexuelles… Dans mon propre cas… Ah! Cet été 2018, juste avant que je ne parte complètement en vrille et fusille ma vie sociale — j’allais courir tous les jours dans la forêt près de laquelle je vivais, c’était incroyable, à 42 ans j’avais l’impression de retrouver mes capacités de jeune homme: j’avais beau suivre des parcours d’une difficulté indescriptible (montées et descentes en permanence sur d’étroits sentiers), j’avais beau savoir que mes genoux étaient fragiles (chondromalacie rotulienne, sorte de pré-arthrite), je ne sentais aucune douleur, je pouvais poursuivre et poursuivre encore et encore, accélérer sans faille, me livrant à de véritables compétitions en solitaire; je volais, je planais totalement, j’avais des capacités de récupération inédites… Et puis, évidemment… Comment pourrais-je un jour éliminer de ma mémoire ce début de printemps 2017, en particulier le 14 mars: je devais assister le soir à mon premier concert de Fishbach, sur la musique de laquelle je scotchais depuis plusieurs semaines (passion qui allait vite se transformer en trouble obsessionnel; voir… la quasi-intégralité de ce blog en fait; LOL). Je m’étais levé tôt, étais parti courir une grosse vingtaine de kilomètres sur route, avais fumé deux pétards de weed avant de prendre sereinement le train de banlieue pour rallier la salle de La Cigale à Paris, avait bu une bière et refumé un joint, avais réussi à arriver suffisamment en avance pour me placer au premier rang, tenant ainsi plus de deux heures sans boire une goutte de quoi que ce soit, et, lorsque Fishbach, au cours d’une partie instrumentale, s’était allongée sur le dos sur le devant de la scène (à cinquante centimètres de moi) en fumant une cigarette les yeux clos, j’étais tombé amoureux et parti dans la stratosphère: j’étais sorti du concert complètement éberlué et transi; je ne sentais aucune fatigue; j’avais repris le train de banlieue, étais arrivé chez moi, avais fumé plusieurs pétards… Le lendemain j’avais été obligé de retourner courir pour me calmer et le surlendemain, ravagé par une montée subite de libido, j’avais claqué 500 euros pour passer l’après-midi avec une escort de haut niveau. J’étais bien mal parti et la suite, si vous avez lu ne serait-ce qu’une partie de ce blog, ne vous est pas étrangère.
Bon. J’ai beau avoir dormi plus de dix heures cette nuit, je suis allé courir, j’ai écrit: c’est l’heure de la sieste.
Que je suis contente de te lire en ce moment ! 😀 Catherine
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