Ces gens que je ne reverrai sans doute jamais

Pour un bipolaire, le retour au monde, le retour à la vie, et notamment à la vie sociale, a quelque chose d’extrêmement jouissif et stimulant, surtout après un laps de temps d’absence incommensurable. Mais il faut savoir garder la tête froide. “Le tri se fait tout seul”, m’a un jour dit Marie, quelqu’un de pourtant bien moins malade que moi. Je pourrais aussi citer mon père: “chez un malade psychique, c’est le regard des autres qui participe le plus à la sensation d’être handicapé et marginalisé.” Ils sont plus ou moins nombreux “ces gens que je ne reverrai sans doute jamais”, je n’en ai que quelques-uns en tête — quand on (n’) aime (pas), on ne compte pas, c’est bien ça? Il faut d’abord quelque part que je me montre compréhensif: en 2018–2019, lorsque mon cerveau a buggé suite à un traitement inadapté puis l’abandon total dudit traitement, lorsque je suis monté dans un domaine maniaque similaire à la schizophrénie, je me suis montré totalement insupportable sinon agressif avec la Terre entière. Et puis, ne nous cachons pas: même chez des gens qui voteront toujours à gauche, avec l’âge, la famille, la conquête matérielle, le soi-disant manque de temps, l’individualisme et la répulsion face à l’altérité et face aux “marginaux” ne font que croître de façon exponentielle. Mais quand même: ils étaient “mes amis” et, sans doute même dans ma grande famille, le rejet de ma personnalité existe-t-il — une de mes tantes a un jour souligné à quel point pouvait être forte la résilience des autres après les épisodes que j’ai traversés. Il y a ainsi des personnes qui ne voudront jamais vraiment me revoir. Il y a ainsi des personnes que je ne voudrai jamais vraiment revoir. Il y ainsi des personnes avec qui l’entente de non-retrouvailles sera tacite et bilatérale. Nous nous recroiserons peut-être, avec indifférence ou sobre courtoisie. Pour partie, j’ai chié, je me suis auto-marginalisé (et je continue dans ces lignes à le faire, #maso), il faut l’admettre — pendant que les autres fuyaient sans trop réfléchir à la gravité de la disease. Il y a cependant sans doute des personnes qui reviendront. Mais, allez mec, ça doit faire du bien par où ça passe: vide ton sac. Il est tout d’abord important de préciser que, non peu paradoxalement, les amis s’étant le plus préoccupé de moi au cours de ma dépression de 2019–2022 en lisant fidèlement ce blog et m’encourageant par des mails réguliers sont aussi ceux que j’aurai sans doute le plus persécutés et ridiculisés par internet lors de ma folle phase parano-maniaque de 2018–2019 (ils étaient mes meilleurs potes lorsque je vivais au Chili dans les années 2010…). Continuons. Je ne vais pas tout éplucher mais donner deux exemples. Je pense ici notamment à cette fille sans doute devenue Professeure des Universités depuis qui, lorsque nous étions ensemble à l’université, était profondément dépressive (ou jouait-elle la fille profondément dépressive?), m’appelait désespérée tous les jours, parfois durant plus d’une heure, et que j’ai tenue par amitié à bout de bras pendant… Pfff… Peut-être suis-je prétentieux mais, sans moi, elle aurait sans doute terminé caissière à Franprix (n’y voyez pas un mépris pour les caissières à Franprix, au contraire; mais, encore une fois, ne nous cachons pas: l’échelle sociale est là, implacable). Où était-elle cette “amie”, même virtuellement, pendant mes trois années de dépression? Next. Je pense maintenant à ce groupe de personnes chez qui j’avais déjà pu observer une attitude de presque fier rejet à l’égard d’un de nos amis devenu malade psychique bien avant moi: ils médisaient apparemment fort dans mon dos lorsque je suis revenu contrit et un peu paumé d’Amérique du Sud suite à ma première crise maniaque (que je ne parvenais pas alors à identifier comme une crise maniaque) — une fille que je ne connaissais pas m’avait abordé en se bidonnant dans une de leurs soirées: “ah! C’est toi Vincent, le mec qui a complètement pété les plombs?” Vous le savez sans doute comme moi: ces gens-là ont peur ou se réfugient dans la gausserie car ils voient en moi le miroir de la possible psychose qui sommeille en eux — un mec (du dit groupe) qui tabasse à mort autrui dans un concert pour une petite histoire de bousculade mériterait bien un petit séjour en HP avec de bonnes doses de Tercian, non? Cependant, un vrai (diagnostiqué) malade mental reste un malade mental. Quelle est la première phrase que l’on prononce lorsqu’on se trouve en violent conflit avec quelqu’un? “Mais tu es complètement malade!” Je dois alors, au final, apprendre à assumer, encore plus que ma condition, mon lourd passé et le prix social qu’il y a à payer. Mylène? Ainsi soit-je, ainsi soit-il. Merci. Autre interprétation à considérer avec sérieux: le malade psychique aurait quelque chose de rassurant pour les autres — qui ne se sentent que d’autant plus dans la norme sociale sinon “élevés” tant qu’ils restent à distance suffisante du malade. Un mot-clé pour tout ce baratin: déclassement social.

Il fait gris, froid, il pleut. Suis-je morose et aigri? Me sens-je seul? Non. Je fais juste mon devoir de citoyen: comme je m’y suis attaché jusqu’à présent dans la majeure partie de ce blog, j’ouvre des vérités au grand jour. D’autres le font. Je le fais à ma manière. Et puis, pour revenir à l’ “amitié”, je ne vais pas tant que ça me plaindre: beaucoup (je pourrais dire les “vrais”, mais il s’agit surtout d’une question d’expérience et/ou d’ouverture d’esprit) sont encore là et certains, que je connais de longue date mais finalement assez peu, sont prêts à me côtoyer les bras grands ouverts (enfin, pour le moment… Prions mes sœurs et frères, prions…); et, enfin, comment ne pas rendre hommage à ces quelques précieuses personnes rencontrées fortuitement lors de mes “expéditions parisiennes nocturnes pour faire l’expérience de la rue” (en phase maniaque) ou lors de mes séjours en clinique (en phase dépressive)? C’était dur, vous savez, mais des anges sont passés.

Voilà. J’avais besoin de chier un coup, c’est fini.

Love.

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