
Tolbiac, décembre 1996. Le temps est froid et pluvieux. Je viens de courir mon premier marathon, en 2 heures et 42 minutes. Je vis dans une ascèse sociale totale drapée d’orthorexie: une fois les cours terminés et quelques paroles échangées avec inquiétude, je ne pense qu’à trouver un endroit sec près de la Gare de Lyon pour dévorer lentement mes sandwiches diététiques avant de prendre le train qui me ramènera dans le Sud de l’Île-de-France — je ne pèse que 67 kg pour une taille de 1,91 m. J’écoute en boucle le disque Marquee Moon de Television.
Ils s’appellent Mme Flavie F. (comme Fleur) et Mr. Laurent B. (comme Bayésien); derrière eux nombreux sont ceux qui se préoccupent du sort de celui que l’on appelle Le Statisticien (j’excelle alors dans les statistiques même ci mon domaine d’ambition, qui deviendra de fait mon domaine professionnel dix ans plus tard, est la géographie physique), un jeune homme “aux mains froides et au cœur chaud.” Mme Flavie F. est sublime (je pourrais écrire: “une bombe sexuelle”, car c’est comme ça qu’elle est perçue par le plus grand nombre de l’amphithéâtre, mais, par respect, je me limiterai au premier épithète), douce, mais désespère face à l’indifférence qu’elle reçoit lors de ses charges séductrices. Mr. Laurent B. fait du rugby, pratique la course à pied pour le plaisir et l’entretien, critique avec amusement les choix musicaux du Statisticien, pré-voyant sans doute ses orientations psychétiques futures (“Pink Floyd… Pink Floyd… Pink Floyd… Que de la musique de foncedé…”), scrute avec consternation sa silhouette osseuse.
Dans l’un des ascenseurs “verts” de Tolbiac, un autocollant du disque Daydream Nation de Sonic Youth.
Nous vivions à l’ancienne, sans le World Wide Web et l’Internet.
Mme Flavie F. aurait pu/dû devenir la femme de ma jeunesse, Mr. Laurent B. mon meilleur ami. J’aurais évité des orientations douteuses (comme, au tournant des années 2001–2003, me lier avec des nantis parisiens capables de claquer 40,000 Francs par an en denrées alcooliques…). Je ne serais peut-être alors jamais devenu bipolaire. Retrouverai-je un jour Mme Flavie F. et Mr. Laurent B., ne serait-ce que symboliquement? — en 2007, nécessitant une catapulte pour mettre un terme à une relation dans laquelle je m’abîmais, je retrouvai bien mon premier amour “illusoire” d’enfance (1986–1988), Mme Alexandra K., sur Copains d’Avant…
Au jeu des fourches existentielles ratées, l’on ressort toujours perdant.
Je suis les racines de mon mal.
“On me nomme la mort, on me dit tu…”