MARCHER SANS PEUR

Il y a une lame de fond qui gronde en moi mais je ne sais pas ce que c’est. Je sais juste que ça chlingue grave et que j’en souffre. Je vis dans des secousses sismiques corporelles permanentes: je suis agité de tremblements littéralement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, même la nuit. J’ai beau remplacer autant que je peux le café par du déca ou prendre des anxiolytiques, ou me remettre progressivement à la marche, la tremblante du mouton de me lâche jamais et ne fait que croître — hypochondrie: j’ai la maladie de Parkinson, c’est obligé. Cette hyper-nervosité permanente: inhibe mes capacités d’alimentation ce qui, au vu de ma maigreur initiale et des conditions météorologiques, ne fait que renforcer le problème (boucle de rétroaction négative; même dans un immeuble bien chauffé, je n’arrive jamais à me réconforter caloriquement); me donne envie d’uriner en moyenne toutes les trente minutes; et, pire que tout, aggrave démesurément mon déficit d’attention chronique (même si j’arrive à lire quelques pages de Sauvagerie de J.G. Ballard le soir avant de dormir). Il m’arrive régulièrement, chez moi, de tourner en rond oubliant ce que je voulais faire quelques secondes plus tôt; je pars chercher une serviette dans la salle de bain et je me retrouve à zieuter comme un con dans ma penderie en me demandant quel disque je vais bien pouvoir écouter — je n’envisage même pas de recourir à mon abonnement UGC-MK2-illimité pour me détendre: je sais que quel que soit le film je partirai au bout de cinq minutes. Pour couronner le tout, je réalise jour après jour que je vis dans la trouille permanente de repasser au-dessus de la surface — trop peur de gicler directement au niveau +6/+7, celui où j’ai la conviction de vivre dans une dystopie numérique, où je suis capable d’haranguer les foules dans les gares en criant “réveillez-vous! Vous vivez dans un jeu vidéo! Brûlez vos smartphones!”, où je n’hésite pas à traverser la place de la Concorde au milieu des voitures en hurlant “Macron! Va te faire enculer!”, où je prends plaisir à fumer des clopes mon casque vissé sur les oreilles assis en dodelinant au bord du quai du métro —, trouille sans doute assimilable à une consciente soupape de sécurité mais qui m’épuise dans la façon qu’elle a de me maintenir vers le bas (et que je vais devoir surmonter si je veux reprendre le travail dans les temps impartis par mon Ministère). Pris dans tout cet étau de câbles électriques intimes et vibrionnants, j’ai parfois de véritables accès de fureur où le temps de quelques secondes je me prends la tête à deux mains laissant courir les spasmes et hurlant en silence. La catharsis de l’écriture, seule activité me permettant d’atteindre une atarexie naine, m’enferme dans une obnubilation jouissivement pérenne: où que je sois, il y a toujours dans mon cerveau un petit brouillon qui se compose ou des brouillons composés en situations de clinophilie passées qui remontent. Cette tachypsychie exacerbée — elle aussi épuisante et en outre aliénante et socialement isolante — m’offre néanmoins le confort de ne plus avoir besoin de me munir d’un ordinateur portable ou d’un carnet de notes lorsque je sors de chez moi comme je le faisais rituellement par le passé; je pourrais utiliser le dictaphone de mon iPhone; inutile: ma mémoire est suffisamment bonne; rien ne se perd, rien ne se transforme, et, une fois de retour face à mon écran domestique, je n’ai plus qu’à éjaculer sur WordPress. J’ai souvent l’impression d’être employé pour un job étrange consistant à vivre la maladie et à construire une projetante de ma lutte quotidienne, me disant que l’idée que quelques personnes ou dizaines de personnes me liront dans ce vaste monde suffira peut-être pour m’apaiser un poil le temps de quelques heures, quelques jours. Est-ce en me projetant et me dédoublant ainsi que je me quitte le mieux? Bien sûr que non! Bien sûr que si! Où suis-je? Ici, assis sur mon fauteuil, ou quelques décimètres plus loin dans mon PC?

Lors de mes petites balades dans Paris, j’ai souvent l’impression de vivre dans un beau mais triste film de Philippe Lioret ou de Christophe Honoré, dont la bande originale composée sur mon walkman par mes propres soins n’est évidemment que toujours trop adaptée à mes états d’âme — aujourd’hui, laissant derrière moi la place de la Bastille, traversant la Seine en direction du Quartier Latin, m’éloignant comme toujours par instinct de survie du bord du pont (de Sully), je me suis encore retrouvé à pleurer comme une madeleine sur “It’s A Sin” des Pet Shop Boys. Partout où je suis entré ensuite (au Vieux Campeur: pour rien; dans un café du boulevard Saint-Michel: pour uriner et prendre un déca serré), j’étais obligé de sortir une des serviettounettes chipées la veille à La Closerie des Lilas. Acmé dans le bus 38 (la madeleine s’abandonne totalement), ligne me rappelant et ma première année d’étudiant parisien (1994–1995), celle qui suivit la mort de ma mère, et mon oncle, fondateur de l’Histoire de l’Architecture en France, genre de second père spirituel pour moi, qui nous parlait régulièrement de ses trajets entre un studio loué au nord de Paris et l’Université Paris 1–Panthéon/Sorbonne où il venait d’être recruté (en 1995, d’ailleurs, si je ne me trompe pas) alors qu’il vivait encore en résidence principale avec sa famille à Aix-en-Provence, et décédé à la fin de l’année 2017 alors que je gisais au fond du trou, sans qu’aucune amélioration ne se produisît même au bout de trois mois, dans une coûteuse clinique de la banlieue parisienne. Descente à Beaubourg. Accélération du pas. Délivrance en tombant nez-à-nez avec la boutique Lee du Marais où je trouve le jeans de mes rêves pour soixante boules et savoure de la part de la radio locale un enchaînement totalement improbable au moment de payer mon achat: Marina & The Diamonds (“Are You Satisfied?”) plus Taylor Swift (“Blank Page”) (Dieu, merci). Clope (dès sa moitié aplatie et molle comme ma bite au réveil). Secousses sismiques. Froid. Métro. Maison.

Il y a une lame de fond qui gronde en moi mais je ne sais pas ce que c’est. Ça va péter, c’est sûr, soit vers le haut, soit vers le bas. Au train où vont les choses, ce n’est sans doute pas en 2023 que je rencontrerai l’euthymie. Probabilité d’internement en HP ou clinique dans les deux mois qui viennent: 50%… Mais qu’est-ce qui me prend d’écrire des conneries comme ça? Non, non, non, 2023 sera — il le faut — ma première année sans passage par la case château fort depuis… Merde, 2015. “Je déteste être bipolaire c’est…” Kanye?… Kanye?!… Où est-il encore ce con? (je parcours en vain ma discothèque). Pas grave… Michael?… Ah! Lui répond toujours présent à l’appel.


R.E.M., “Walk Unafraid” (album Up, 1998)

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