Cinquième jour que j’arrive à ne pas me recoucher après le petit-déj.
Deuxième jour que j’arrive à me passer de Valium.
J’entre directement dans le Guinness Book 2023.
Je me suis cependant couché trop tard hier soir (3 AM), peu satisfait par mon article “LA MORT” — texte jugé sur le moment excessivement décousu, court, fragmentaire, incomplet (…). Cela tournait un peu vite dans ma tête. Ce matin, sur cette seule base, encore embrumé par le somnifère, je me suis senti paralysé et angoissé à l’idée de me retrouver catapulté d’un coup des abysses à la stratosphère maniaque. Je me suis calmé, je me suis questionné. Te sens-tu euphorique? Non. Te sens-tu optimiste? Non. As-tu fait des achats compulsifs? Non. As-tu pris des drogues récréatives? Non. À quand remonte ton dernier accès maniaque? À l’an dernier, alors que je “résidais” en clinique. Quelle quantité de clomipramine t’administrait-on quotidiennement (erronément, d’où le “virage” maniaque) il y a un an alors que tu “résidais” en clinique? 160 mg. Et maintenant, quelle quantité prends-tu? 50 mg. Quelle quantité d’escitalopram t’administrait-on quotidiennement (erronément, d’où le “virage” maniaque) il y a un an alors que tu “résidais” en clinique? 30 mg. Et maintenant, quelle quantité prends-tu? 10 mg. J’ai regardé le comprimé de ce dernier antidépresseur, l’ai coupé en deux moitiés de 5 mg chacune, ne prenant qu’une desdites moitiés, me disant que dans le pire des cas je pourrais prendre la seconde en début d’après-midi si nécessaire. Jamais ma psychiatre ne me reprocherait d’avoir pris la décision de baisser les antidépresseurs, bien au contraire. J’ai alors allumé mon vieux poste de radio préréglé sur France Inter. Ah! Non! Pas elle! (J’avais oublié qu’il y avait un festival de chanson française ou quelque chose d’approchant à la Maison de la Radio et de la Musique…). C’est Tata Mylène que je voulais, moi! Mais là, guess who… “… En fait, j’ai tout ce que je ne voulais pas avoir quand j’étais jeune: une bagnole, un chien qui s’appelle Ardent et que j’adore, une petite maison dans la campagne des Ardennes près de Charleville-Mézières…” (j’ai ri) (éteins ce poste de radio). Une fois de plus déconcerté par son éloquence, sa vivacité intellectuelle, et sa voracité culturelle (qu’est-ce que j’aimerais faire tout ce qu’elle fait…) (éteins ce poste de radio!), trouvant dans presque toutes ses paroles un écho à mes opinions (qui m’a dit un jour que je ne l’aimais que parce qu’elle n’était que mon reflet en femme?) (éteins ce poste de radio, raclure d’être humain! C’est plus qu’un ordre!), je me suis délecté de la douce voix de mon ex-target de psycho-stalker pendant que je laissais mon corps se réveiller complètement et que j’envisageais ce que j’allais bien pouvoir foutre de ma journée. Encore en pyjama, je me suis livré à mes “travaux pratiques intellectuels” du matin sur Facebook (sur mon ordinateur fixe; on vit comme on veut avec son époque, non?) avant de prendre une douche et de décider de sortir marcher pour repousser la déprime du ménage et calmer l’angoisse matinale. Je suis parti à l’arrache: j’ai pris le métro, me disant que j’émergerais bien quelque part — n’importe où pourvu que ce fût le plus loin possible de la Maison de la Radio et de la Musique. J’ai mis mon smartphone en mode silencieux, ai allumé mon walkman numérique (encore: on vit comme on veut avec son époque, non?), ai lancé le dernier Black Angels, Wilderness Of Mirrors. Très rapidement, je me suis rendu compte que je devais réprimer des ascensions de sanglots. Avais-je vraiment eu raison d’écrire des tartines sur le deuil de la mort de ma mère dans “LA MORT”? Avais-je vraiment eu raison de laisser tourner l’interview de Fishbach sur France Inter? Étais-je en train de vivre un accès fishbachomaniaco-mélancolique? Comment fait-on pour remonter dans le temps et réparer ses erreurs passées? Ah! Oui, c’est vrai, en empruntant un trou de ver — (voix multiples en chœur) “Oh! Qu’il commence à nous les briser avec ses trous de ver, celui-là!” (d’autant que je serais complètement incapable de donner une définition d’emblée d’un trou de ver sans aller relire un de mes manuels d’astrophysique ou de métaphysique quantique…). Et puis, je me suis rappelé à quel point les antidépresseurs insensibilisent et à quel point leur diminution voire leur interruption brutale lors de franches remontées de la pente dépressive expose à une hyper-sensibilité. Depuis combien de temps n’avais-je pas pleuré? Je suis remonté à la surface à Denfert-Rochereau, j’ai allumé une cigarette sur “The River”, la chanson la plus mélancolique de Wilderness Of Mirrors, et, débutant ma “randonnée” dominicale, aidé par le froid polaire giflant mes yeux, j’ai laissé les larmes couler. Quelques personnes me croisant m’ont dévisagé. Fuck you! Boys don’t cry! Arrivé à Port-Royal, pris d’une subite envie de pisser, je suis entré dans le premier bouge venu: La closerie des lilas. Une fois à l’intérieur, j’ai tout de suite saisi la cote de l’endroit et compris que je faisais tache avec mon blouson de motard Kiabi et mon jeans noir de punk à fermeture éclair foutue. Je ne me suis pas pour autant gêné pour m’installer confortablement au comptoir et m’emparer d’un stock de serviettounettes afin de sécher mes joues. “Un déca serré s’il vous plaît” (déca: pour limiter l’hyper-sensibilité; serré: pour ne pas renverser la moitié de la tasse à cause de mes tremblements). La vache! Jamais je n’aurais cru boire tel jus de chaussettes dans un endroit si huppé. Quatre euros cinquante. Oh! Il y a écrit “partout où je vais je me fais enculer” sur mon front ou quoi? Je ne me suis pas attardé dans le restaurant et suis parti faire tout le tour du Jardin du Luxembourg, incapable d’arrêter le disque des Black Angels et donc de remettre mon bonnet (écouter de la musique avec 5 mm de polyester entres mes oreilles et le casque? Never in my life…) et donc transi de froid. J’ai retrouvé le banc précis où j’avais une fois, après m’être fait démonter la gueule lors d’une colle de préparation à l’agrégation, médité avec inquiétude sur l’incertitude de mon futur professionnel en écoutant la chanson “Troublemaker” de Nada Surf. Je me suis remis à pleurer. J’ai tourné comme un gamin autour du petit lac en écartant les bras et en regardant le ciel, essayant de me transporter dans une sphère un tant soit peu euphorisante: sans succès. Je suis resté planté tel un piquet à l’entrée du Luco, inerte, paumé, désorienté, indécis. Je suis allé photographier la porte que j’avais la coutume d’inonder d’urine après mes soirées hyper-alcoolisées du jeudi soir lors de mes années de préparation de l’agrégation. Je suis entré dans le petit Chinois voisin, à ma connaissance seul véritable restaurant de la rive gauche où il est possible de faire un copieux repas pour même pas huit euros: trop tard, service terminé. Face au Panthéon, je me suis fait une réflexion: “tu es en vie (eh! Ne serait-ce pas là le titre d’une chanson de notre petite chipie des Ardennes?) (Calme-toi, espèce de frapadingue! Je t’avais dit d’éteindre ce poste de radio!), tu as un toit, une famille sur qui tu peux compter, tu vas sortir de cette spirale narcissico-lamentatoire, remplir ton blog de jolis portfolios incohérents et de fiches didactiques soporifiques à l’adresse des autres malades…” (Réellement? Never in my life, sauf contre rétribution conséquente). J’ai terminé assis dans une terrasse chauffée (oui, oui, il y en a encore) d’un café de la rue Soufflot à boire un chocolat chaud et à rêvasser— j’emprunte ici directement le terme répété par… (Mais ta gueule! En plus tu ne l’écoutes même plus!)—, non sans une profonde amertume. Un chocolat chaud. De l’eau avec du sucre, oui — le sucre: la pire saloperie au monde, même devant le tabac (désolé, mais mon cerveau est devenu d’une telle sensibilité à l’ingestion de tout aliment…). Ma journée était foutue; je n’avais plus qu’à relancer les Black Angels et à rentrer manger un steak haché aux lentilles chez moi. Et à repenser à la mort encore et encore, comme écrit dans “LA MORT”. Et à repousser la déprime du ménage. Et à revisionner cette vieille vidéo de 1985 où Mylène Farmer embrasse Jacky sur la bouche (dans une autre vie je serai Jacky). Et à vivre dans la sueur froide et les tremblements. Et à me demander where is my mind, where is my mind, where is my mind, where is my mind, where is my mind, tellement envieux de la cohérence d’esprit perçue le matin… (Oh! Va chier! Tu es désespérant! J’abandonne…) — cool — tellement envieux de la cohérence d’esprit perçue le matin dans les propos d’une petite étoile hercynienne interviewée sur France Inter. Et à, même sans logique, chialer encore un petit coup si besoin. Boys don’t cry? Et si ce n’était que des larmes de joie ou du moins de soulagement? Lorsque même pas deux semaines après avoir eu de réelles envies de défenestration on ne trouve qu’à se plaindre de la qualité des consommations dans les cafés parisiens on est au paradis.