Mais qu’est-ce donc que cet article que j’ai écrit hier (“Aïe”)? Je n’y comprends plus rien. J’ai passé une journée invraisemblable. Je devais aller déjeuner en banlieue avec ma famille (…). Je m’étais couché tôt. Je me suis réveillé tôt, ai fait un énorme petit-déj, ai bâillé, regardé l’heure, me suis recouché en mettant une alarme à dix heures, le dernier Röyksopp en arrière-plan. C’était cool. À dix heures et demi, je constatai éberlué la pénibilité que j’avais à descendre les escaliers de l’immeuble; une fois dans la rue tout était trop: marcher, prendre le métro puis le train de banlieue… J’étais désemparé. Cela sentait très, très mauvais. Je n’ai pas réussi à faire vingt mètres, ai appelé mon père qui m’a pratiquement ordonné de retourner me mettre au lit avec un bon bouquin. Et là, j’ai tout mis sur le compte de ma sortie en courant de la veille: le sport tue, me suis-je dit intérieurement, repensant à comment cet hiver et ce printemps en clinique, invraisemblablement dopé aux antidépresseurs je m’étais cramé à trop courir. J’ai pris le temps d’écrire un truc sur Facebook à ce sujet (oui, je m’exprime à la troisième personne; saviez-vous que Napoléon était bipolaire?…): “Vincent Tristana doit sérieusement songer à suspendre au moins temporairement toute activité sportive s’il ne veut pas retomber en dépression. Vive la #sédentarité; #books, #records, and #cigarettes forever” — et je me suis plongé sous la couette, les larmes aux yeux. J’ai passé une journée de profond dépressif typique: couché, inanimé, léthargique, sommeillant à moitié, sans envie de quoi que ce soit; ni lecture, ni musique. Dans certains intermèdes, je me suis mis à me poser les vraies questions: aurais-je été en hypomanie depuis mon emménagement à Paris? Aurais-je trop donné à vouloir repousser la dépression? Cela reviendrait-il au même comme me l’a fait plus ou moins comprendre ma psy la dernière fois que je l’ai vue? Aurais-je abusé des cafés en terrasse ou au comptoir qui accompagnaient et soutenaient mes petites balades dans Paris? N’y aurait-il donc aucune porte de sortie face au mal? Hypomanie? Bordel, en trois semaines je n’ai fait aucune dépense excessive (pourrait-on vraiment pinailler sur les 60 euros de disques claqués à Gibert?…), je n’ai fait qu’une seule soirée (le concert de Kit Sebastian au Petit Bain), je n’ai presque jamais bu, ai à peine retouché au shit, n’ai connu aucune phase fishbachomaniaque, ne me suis remis à courir que très progressivement (un jour sur trois en moyenne), et chaque fois que je me sentais un poil fatigué je rentrais pour faire une sieste ou me coucher tôt. Mener une vie subnormale — purement oisive d’ailleurs — m’aurait-il été fatal à ce point? Étais-je en train de connaître une véritable rechute? Serais-je à ce point handicapé? Je l’avais bien dit: la crête de l’euthymie est dangereusement instable. Vers 17 heures, j’ai émergé, secoué de tremblements et parcouru de trains de sueurs chaudes et froides. J’ai fait un deuxième petit-déj, bu un café, fumé une clope. Il fallait que je sorte, il fallait que je sorte. J’ai pensé à faire un ciné mais ai vite repoussé l’option: vu mon niveau de concentration, je n’allais pas tenir dix minutes quel que fût le film. Alors je l’ai fait: je suis reparti courir. Je me suis dit au pire tu fais dix minutes et tu rentres. Il faisait beau et froid, j’aime courir quand il fait froid, je déteste la transpiration, en particulier la mienne. Et… Je n’étais pas du tout fatigué. J’y suis allé à l’arrache, nerveusement, cherchant dans le Bois de Vincennes les rares routes et pistes éclairées. Contrairement à hier, je ne pensais strictement à rien — aucun accès tachypsychique. Au bout d’une petite heure, je regagnai mon domicile complètement pété aux endorphines. J’étais bien. Je suis rentré, ai mis CHVRCHES assez fort pour l’entendre depuis la douche.
J’ai quand même pensé à quelque chose en courant: et si j’avais réellement besoin d’une femme pour me stabiliser complètement, malgré mes profondes désillusions dans ce domaine? Lady, ladies, if you read this and are alone and ready to bear a fuckin’ bipolar partner, please come and save me from myself.
(Ces deux dernières phrases sont inutiles et gâchent complètement l’article, mais bon, sait-on jamais…).