Mourir n’a pas de prix

Je ne sais plus écrire, je ne sais plus bloguer. En dehors du remplissage de mes arrêts de travail et de quelques SMS, je ne crois pas avoir écrit un mot au cours des trois derniers mois. Je ne sais même plus quoi dire. 2020, 2021, 2022… Les années dominées par la dépression anéantissante, la disparition de tout intérêt pour quoi que ce soit, l’ennui sans fin, la non-vivance, s’accumulent, implacablement. Mes capacités intellectuelles et physiques s’étiolent, mon déficit de concentration par inaction et sous l’effet conjugué de la maladie et du traitement atteint des sommets, mes pensées sont de plus en plus monopolisées par le rejet de mon existence, la mort, et les risques de suicide… Je suis profondément aigri. Ai-je seulement lu un roman cette année? Combien de concerts ai-je ratés? Combien d’amis n’ai-je pas trouvé les moyens de voir? Et, ah! Elles étaient bien belles, au printemps, mes paroles sur la course à pied comme thymorégulateur idéal. Suite au constat terrible, inédit, que faire beaucoup de sport, havre d’euphorie et de sérotonine auquel je me raccrochais de façon au moins névrotique, pouvait me replonger en dépression, je me suis écroulé, j’ai sombré. Presque six mois de clinique pour revenir au point de départ. Et, à partir de là, je me suis tu. Vous savez, c’est bien gentil et facile de crier sur tous les toits que l’on a été le stalker de Fishbach et que l’on l’aimera pour toujours en comparaison de ce qu’est décrire un quotidien d’homme gisant, d’homme-chien, d’homme-vomi rampant, de décrire les permanentes, maladisantes et paralysantes plages de stupéfaction et consternation face au triste sort et à la maladie, face à la sensation d’un handicap et d’une invadilité grandissants, de ce qu’est dépeindre l’affaiblissement dramatique de l’âme, la plongée désespérée, comme jamais, sans plaisir ou presque, dans le cannabis pour meubler le néant d’autres angoisses, pourtant au final les mêmes… Et j’en passe… Non, j’avais honte, c’était trop dur. Quand la douleur de vivre est trop forte, il est parfois préférable de se taire. Et qu’aurais-je écrit? Un article de trois mots? “Je veux mourir”? Je suis bipolaire, je suis pile ou je suis face — y a-t-il des chutes dont on ne se remet jamais? Du trou noir, dont je perçois les pourtours, s’échappent des fumerolles teintées de sang.

Enfant, je voulais devenir chevalier, mousquetaire, champion du monde de football, ou Jean-Michel Jarre. Je voulais être un héros. Je l’ai souvent été, à différentes échelles, à ma manière, avant de devenir bipolaire, mais j’ai trop sérieusement (pathologiquement?) rêvé, trop idéalisé, trop grandi sur des stairways to heaven, l’on m’a trop répété que je faisais partie de l’ “élite”, pour qu’il me soit aujourd’hui supportable de vivre dans ma diminution et la médiocrité. Je ne suis, du coup, plus capable de grandir, la conscience éparpillée et épinglée sur des moments-voûtes de mon passé qui alimentent une nostalgie comorbide lourde et délétère. “C’est la faute à la maladie si tout a foiré”, me répétera-t-on et me répéterai-je — croyez-vous vraiment que cela diminuera la douleur?

Je le sais, je fais peur. Je réécris, ici, ce qui pourrait être jugé comme positif, mais plus j’écris plus je suis l’homme qui gêne, éloigne, répugne. Je suis l’empire de vos angoisses, l’incarnation de votre peur individuelle ultime: l’occurrence d’un destin brisé si douloureux que l’on ne peut s’empêcher de le mettre en balance avec l’au-delà. Je suis Maverick blessé à vie, le mitraillage de vie en véritable livre d’école. Pas de Rolex pour Tristana. Suis-je “fini”? M’en sortirai-je? Combien de temps tiendrai-je? Mon espérance de vie? Fuck you.

J’ai encore des diodes en moi.

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