Ce n’était pas si facile ce matin. La grisaille plombait les étendues pavillonnaires. J’avais les jambes lourdes de ma sortie de deux heures de la veille. J’étais un peu angoissé à devoir attendre confirmation pour la location d’un logement près de Paris. Surtout, je retournai en moi cette question: comment avais-je fait pour me faire larguer si vite alors que, pour une fois, j’avais trouvé quelqu’une me correspondant si bien? Au bout de quarante-cinq minutes à courir à une allure très modérée, je décidai de me calmer avec quelques accélérations sur la ligne droite d’une piste cyclable; au bout de quatre répétitions, je me rendis à l’évidence: je n’étais pas dedans et, en plus, l’exercice me faisait couiner mon genou gauche. Je me laissai couler avec la fin d’Avec les yeux de Fishbach, un quart d’heure tranquille, et rentrai chez papa — d’où, une fois hydraté, je repartis en remettant une première puis une deuxième fois l’album de Fishbach. Je dus me rendre à l’évidence: j’avais couru en tout plus de deux heures et quart, complètement porté, dopé par la musique. Quelque chose d’inimaginable il y a seulement une semaine, quand je n’avais pas encore compris Avec les yeux.
Dans ce nouveau disque, d’une cohérence et d’une continuité exceptionnelles, aussi riche en grands moments (chaque chanson, à vrai dire) que le déjà lointain À ta merci, Fishbach, assimilant toute la musique qu’elle a pu écouter et produire, se permet tout et n’importe quoi, caracole, téméraire, audacieuse, avec tact et génie pour aller lécher sinon embrasser les terres du mauvais goût, du désuet, des excès, du pompier. Et cela cartonne. Et oui, comme elle le revendique, le solo de guitare sur “Nocturne” a quelque chose d’inexplicablement “sexy”. “Dans un fou rire”, “De l’instinct”, “Masque d’or”, “Tu es en vie”, “Téléportation”, “Démodé”, “Presque beau”, autant de tubes en puissance, déjà sortis en single ou destinés ou à le devenir. Avec cet album, Fishbach va au-delà de tout ce qui est fait dans son registre: elle fait de la post-pop, sinon du post-Fishbach, du post-tout, s’offrant même ainsi le luxe d’imiter et surclasser Tame Impala sur “Presque beau”. Elle est le futur à la fois de la chanson et du rock. Avec les yeux est un grand disque, qu’on n’appécie pas en deux écoutes furtives (cf. ma première “chronique” d’Avec les yeux) mais qui, encore une fois “hypnotique”, se laisse dévorer au long cours par petits puis infiniment grands coups. Et qui viendra remettre en question le fait qu’une chanson comme “Tu es en vie”, grandiose arc post-Kim Wild franco-anglais, ne fait que donner envie d’appuyer sur “Repeat”? Il est 19 heures: j’ai bien dû écouter sept ou fois l’album depuis ce matin. Fishbach a cela d’extrêmement agaçant: sa musique a un côté absolument addictif; chez les gens comme moi souffrant de troubles obsessionnels ou ayant le “gène” de l’addiction, Fishbach, avec ce deuxième brillantissime album, représente un problème à gérer avec raison.
Je repense ainsi, hilare, au challenge débile que je me suis laissé il y a deux jours sur Facebook: The moon is high in the sky. The full moon night will be 18 March, in 3 days. You know your mood cycles, at a certain scale, are correlated with the moon phases. You can do it. First rule: you don’t talk about Fishbach. Second rule: you don’t talk about Fishbach. Following rules: you don’t comment any of her publications on Facebook or Instagram; you don’t mention her @name in any Facebook or Instagram publication or comment; you don’t send her private messages on Instagram; you don’t try to write a new chronic of her last album; YOU DO NOT EVEN OPEN HER FACEBOOK HOMEPAGE. You have only one right: you can listen “Avec les yeux” as much as you want. And do something big, something totally disconnected from Fishbach. You have bipolar disorder and fishbachomania in you but prove you can’t be reduced to this two ‘diseases’; prove that you are something else. Je n’aurai même pas tenu vingt-quatre heures comme le démontre ce commentaire laissé hier en fin d’après-midi: You failed. We told about three days and you are here typing again because you just want to tell the thing. It was not the Something Big you expected but, OK, running 27 km in the morning in 2 hours, very easy and slowly, ending without any drop of sweat listening symbolically to “Tu es en vie”, was kind of a thing. “Tu es en vie” is your best post-pop song ever, Miss Flora Fishbach! Can you only imagine the magical-medical effect you have on someone like me, having spent THREE fucking months in a clinic for deep depression? And it’s not the first time: in 2017 with “A ta merci” you had in the same way incredibly lifted my mood, just while I was exiting depression. There is a mathematical model to be elaborated simulating my mood oscillations as a function of your career! But that is the point: I have to identify the line where I don’t turn insane or start to harass my environment with delusions. But… Oh! Stop that bullshit!… Flora Fishbach I know you know how important you are in the lives of your audience. There is a disease in me but I have you: you are my elixir, my cure, my own private antidepressant. I’m not that high, that “up” saying this. Spring and flowers are already here, again. I JUST WANT TO THANK YOU FROM THE BOTTOM OF MY HEART FOR WHAT YOU DO. I’m feeling alive, “je suis en vie”! And, no, no, no, Empress, the elixir won’t turn into poison this time, believe in me. Maybe the “line” evocated above is here, finally. See you, then…
Et oui, que ça vous plaise ou non (mais avouez qu’il y a dans tout ça quelque chose de psychiatriquement fascinant), me revoilà en pleine fishbachomania. Je suis adulescemment amoureux. Je n’ai pas connu ça depuis 2017. Je suis amoureux de Flora Fischbach et de sa musique. Une femme qui soutient des vies. Une femme qui rend heureux par ce qu’elle fait. Une femme dont les disques devraient être remboursés par la sécurité sociale pour les gens souffrant d’une affection psychiatrique de longue durée comme la mienne. Mais aussi une femme que j’ai harcelée au cours de phases maniaques terrifiantes, qui me connaît dans mes pires travers de bipolaire. Une femme que j’aimerai ainsi comme il se doit que je l’aime: dans la distance, la vanité, l’ordre…
Revoyons alors ce “something big” dont il est question dans ma publication Facebook: est-ce que courir deux jours de suite plus de deux heures alors qu’on tourne encore à presque dix clopes par jour constitue un “something big”? Bof. Peut-être. Disons oui. Je suis un coureur, voilà, j’ai prouvé que je n’étais pas simplement bipolaire et pathologiquement fan de Fishbach. Si je ne me montre pas plus enthousiaste, c’est qu’à vrai dire, le “something big” pour moi est simplement vivre avec Avec les yeux: écouter ce disque constitue une fin en soi. Fishbach is the drug. Point final?
Non, pas point final: je viens juste de recevoir la confirmation que je louerai un appartement sur Paris à partir de… la semaine prochaine. Paris, amour de ma vie, plus Fishbach, amour pour toujours = zone de danger?
Mais je l’avais défendu son album, je suis trop down désolée de ne pas pouvoir être là, prends soin de toi bisous
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I miss you
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