Où Fishbach était-elle partie promener ses beaux yeux depuis 2017 et l’intense tournée qui suivit le succès de son premier album À ta merci? On l’a vue, seule, se produire dans quelques concerts intimistes (au Safari Boat, au Silencio…); on l’a vue apparaître au petit écran dans la paraît-il (je ne l’ai pas regardée) médiocre adaptation en série de Vernon Subutex; on l’a vue s’essayer au mannequinat; on l’a surtout beaucoup entendue faire le tour de France en tant que DJ, activité prolongée par des playlists étonnament riches et variées publiées sur Spotify et relayées sur les réseaux sociaux. Invitée sur le plateau de l’émission Quotidien sur TMC à fin de l’année 2021, elle a également confessé s’être consacrée à son “existence de femme”. Ses suiveurs sur Instagram savent du peu de vie privée qu’elle livre qu’elle adore arpenter les Ardennes en compagnie de son chien Ardent. Jeu de mots facile et déjà éculé: Fishbach is back. Nouveaux musiciens, nouveaux looks, maquillage ostentatoire (la Fishbach de 2016–2017 apparaît soudain comme une très jeune fille): Venus in leather. Plus femme fatale que jamais.
Flora Fischbach ne s’est pas préoccupée de devenir une superstar, elle ne s’est pas occupée de suivre le rythme de ses congénères (Cléa Vincent, par exemple; et Clara Luciani, évidemment, dans le rôle de superstar de C8). Elle a fait ce qu’elle a fait toute sa vie: ce qu’elle voulait. Que pouvait-on attendre musicalement d’un mûrissement de cinq longues années? Le 27 avril 2017, j’avais assisté au concert que Fishbach avait donné en première partie de Peter von Poehl au 106, à Rouen. J’y avais traîné un de mes amis, qui, bien que très peu convaincu par ses préalables écoutes d’À ta merci, était ressorti bouleversé, confessant avoir vu l’une des prestations scéniques les plus éblouissantes de son richissime parcours de concerts. Nous avions discuté avec les membres du groupe que Fishbach avait constitué à l’époque — Michelle Blades, Alexandre Bourit, Nicolas Lockhart (tous mis à l’honneur dans la vidéo officielle de “Mortel” sur YouTube); des grands enfants de la scène indie éberlués et épatés par le succès qui leur tendait soudain les bras. Le ton du concert était délibérément plus rock que celui de l’album. “C’est dans cette direction que nous voulons aller ensuite”, nous avait dit le claviériste Nicolas Lockhart. Même si j’étais irrationnellement tombé fou amoureux de Flora Fischbach (comme je le décris extensément et incohéremment dans une bonne partie de mon blog), Fishbach, pour moi, à ce moment-là, c’était d’abord un groupe, c’était ce nous, c’était ce groupe, c’était ces trois mousquetaires-là. Je ne suis pas journaliste et n’ai pas enquêté sur les raisons de la non-pérennité de cet alchimique assemblage et par ailleurs cela sans doute ne me regarde guère. Les carrières des groupes sont faites de nuages et dénouages, il n’y a pas à s’étonner outre mesure de divergences de trajectoires. Mais, en mon for intérieur, le soir du 27 avril 2017, je rêvais d’une suite telle que l’avait laissée entrevoir Lockhart: Fishbach marchant dans les pas de Ladytron ou des White Lies. Tous ceux qui m’ont lu et/ou connu savent qu’à travers Fishbach et À ta merci je suis ensuite devenu complètement fou, que mes “troubles de l’humeur” — expression si légère — se sont teintés de tant de délires que je devais certainement plus passer pour un profond schizophrène que pour un “bipolaire” — label au final tellement hype. Si je suis toujours, “à ma façon”, le stalker de Fishbach — dans une certaine forme d’auto-dérision (sur Facebook, j’ai un badge de “Super Fan” et je poste essentiellement des commentaires comiques ou décalés) —, je ne suis pas pour autant un fan inconditionnel: qu’il est ainsi dur lorsque l’on a pu parler à l’envi d’À ta merci comme du disque de sa vie (voir cet article en français et celui-ci en anglais) de devoir assassiner son descendant.
Par rapport à son prédécesseur, Avec les yeux est indéniablement plus professionnel, notamment dans la production, et, comme on disait dans les années 1990, plus “organique” (fini les boîtes à rythme, les boucles, et le Fairlight; bienvenue aux “vrais” instruments). Si le néologisme “rétro-synth-pop” qualifiait assez bien À ta merci, non sans une certaine ironie — le “rétro” prenant constamment des allures futuristes —, Avec les yeux est un disque de “post-variété”, en particulier de post-Jeanne Mas, post-Kim Wilde (en français, à l’exception d’un refrain), voire de post-Goldman. Cela établi, hormis le tubesque “Masque d’or”, qui surclasse jusqu’à l’horripilance n’importe quelle chanson des Rita Mitsouko, Avec les yeux ne décolle jamais, enlisé dans une platitude mélodique consternante, souvent pollué d’indigestes feux d’artifice de guitares tirés des pires époques (prog rock des années 1970 et rock FM des années 1980), nappé de claviers plus datés et passéistes que l’on pouvait le cauchemarder; dans cet ensemble prétendûment baroque (le disque a été composé dans les Ardennes…), aux allures fréquentes de bande originale de soap opera, le chant de Flora Fischbach, qui semblerait comme avoir épousé Matthew Bellamy ces dernières années, ne convainc plus sinon agace profondément (exemple: l’insupportable “La foudre”). Certes, on ne pourra pas reprocher à Fishbach d’avoir choisi la facilité en cherchant à faire une simple v2.0 de son premier album. Avec les yeux, ambitieux, est un disque de variété pompier qui comblera probablement nombre des fans de Fishbach. Mais on était en droit de rêver tellement mieux — revoir ici les anecdotes rapportées dans le deuxième paragraphe de cet article — totalement, j’en conviens, anachroniques: mais il est des périodes de l’existence dont on ne se remet parfois jamais.
Moi j’aime bien « Dans un fou rire »
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