Mon père avait raison. Ce n’était qu’une parenthèse, qu’une (très) pénible dépression contextuelle: dix jours d’incubation et de profonde fatigue, dix jours de maladie et d’isolement, une semaine de récupération. Le présent n’est pas simple cependant. Mais de quoi m’aura détourné sinon sauvé le Covid–19? Une phase de délires incontrôlable? Dans les présentes lignes, dans je ne sais plus quel article, je prétendais contrôler à l’envi, jouer avec ma posture pour ne pas dire ma pose de maniaque et ma tachypsychie: jusqu’à quel point cela aurait-il pu aller? Au moins au cours de ma dépression covidienne aurais-je eu le loisir de relire de la géomorphologie structurale, me rappeler à quel point j’étais gauche et mauvais dans les relations sentimentales, et surtout méditer sur: comment me révolter contre moi-même? Soyons franc: j’écris pour m’accepter mais dans cette écriture défoulante je ne fais qu’entretenir ma difficulté sinon mon impossibilité à trouver un sens à l’existence autre que la lutte contre la maladie psychique. Où sont ma Corinthe et ma montagne? De manière apparente je souffre à la fois — mais non forcément corrollairement — d’anxiété permanente et de nervosité. Je tremble tout le temps, ai besoin de manger cinq fois par jour tellement je me sens me consumer sur moi-même; je ne parle qu’infiniment peu aux autres patients de la clinique et ai déjà entendu une voix passer sur mes épaules dans les couloirs: “revoilà le ténébreux.” Mon nouveau voisin de chambre a littéralement halluciné face à mon mode de vie dans les jours de récupération faisant suite à la levée de mon isolement: “je ne pensais pas qu’on pouvait autant dormir par dépression et bipolarité”, a-t-il maugréé gentiment un après-midi alors que je tentais de faire une sieste, incapable de m’occuper à autre chose. Il est resté coi lorsque je l’ai rassuré: “ne t’en fais pas, ce n’est rien, je suis déjà resté près d’un an couché en permanence…” Je sais que je vais passer le cap, le col, que les dernières semaines ne sont finalement qu’un détail. Je suis juste en situation post-traumatique suite à un an et demi de folie et deux ans de prostration désolément dépressive. Je suis juste profondément emmerdé d’avoir — une fois de plus; comme toujours en fait depuis l’éclo-xplosion de mes troubles bipolaires — à reprendre tout à zéro en matière de pratique sportive quotidienne. Je n’ai pas pris de poids, au contraire, mais ai retrouvé goût aux cigarettes, même si je suis loin du paquet quotidien que je descendais “allègrement” l’année dernière. Dix kilomètres de course hier, dix kilomètres de course avant-hier… Au fond, mon pari insensé du début du mois de janvier — rallier Rouen pour le concert de la Reine des Ardennes, le 27 avril, en courant afin de contenir l’excitation et prévenir tout débordement maniaque — est-il peut-être encore tenable. Ah! Ah! Ah!… J’aime être naïf. J’aime m’accrocher à des rêves puérils pour avancer. Mais j’ai presque quarante-six ans, bordel; je ne vais quand même pas passer ma vie à écrire sur mon nombril et à courir comme un débile en écoutant toujours et encore Dog Man Star de Suede… Ou pourquoi pas, au fond? Pour commencer, ce sera toujours mieux que me laisser dépérir. La seule chose rémunérée que je savais bien faire dans ce monde — étudier les paysages et les enseigner dans des universités — je l’ai fusillée il y a bien longtemps… Aïe, aïe, aïe, revoilà le ténébreux. Bon, d’accord; je vais lancer un projet autour de ma nouvelle obsession: je vais vulgariser la France Hercynienne, créer une carte inédite de la chaîne de montagnes qui existait ici il y a 300 millions d’années… Quelqu’un peut m’envoyer une version crackée d’Adobe Illustrator et un accès pirate à l’intégralité des données numériques de l’IGN et du BRGM? Je ferai des petits posters de la région des Ardennes et irai pieusement les déposer ou les afficher à l’entrée des concerts de Fishbach. On verra bien si ça intéresse quelqu’un. Et oui, c’est encore moi, Vincent Tristana, mon pipi sent la sueur de chat. Cela vaut bien un petit Muse, ne m’en voulez pas, pas de quoi, je n’ai que ça.