Clinique, Jour 10

Je me réveille à l’aube, ravagé par l’angoisse. J’ai encore rêvé d’elle, la mort; j’étais au chevet d’un de mes meilleurs amis atteint d’une maladie incurable. Mes draps sont littéralement trempés. J’aimerais dormir davantage mais je file sous la douche; je sors fumer une cigarette: mes mains tremblent toujours de façon préoccupante. Les jours filent. Je lutte, je résiste, je m’accroche; je tue le temps comme je peux. J’évite autant que se peut de rester seul dans ma chambre pour ne pas ruminer des idées noires, ne pas paniquer. Je m’agglutine systématiquement au groupe de patients dans lequel je me suis intégré. Vous savez, la clinique, c’est comme le lycée: il y a les gens qui ne sortent pratiquement jamais de leur chambre, et les gens cools , souvent des fumeurs, mais pas seulement, qui sont tout le temps dehors à tailler la bavette. Je ne parle pas toujours beaucoup: quelqu’un me demande pourquoi je suis silencieux; je réponds: “je réfléchissais aux critères qui permettent de me définir en hypomanie. Sur une échelle de –10 à +10, à +2 je parle très fort; à +4… Si jamais, je dis bien si jamais, car je m’en sens encore loin, au cours du séjour vous me voyez demandez à une femme de me prêter ses sapes et de me maquiller, alors je serai sérieusement en hypomanie.” Tout le monde rigole, ma tirade alimente la conversation générale pendant plusieurs minutes, certains aimeraient presque que j’y sois déjà, à +4.

Tremblante du mouton et angoisses mises à part, je ne me sens pas si mal ici. Je me sens mieux qu’à l’extérieur en tout cas. Je suis complètement pris en charge, je n’ai presque à me soucier de rien de matériel. Je marche beaucoup, de la musique en intraveineuse, au bord des larmes sur certaines chansons. Et, hier, je suis même sorti courir comme un malade, comme à l’ancienne, oubliant et atténuant dans l’effort mes douleurs aux genoux, bravant les interdits de l’établissement, c’est-à-dire sortant de l’enceinte de la clinique pour m’esbaudire sur de petites routes au milieu des champs et bois, ralliant un petit hameau isolé. Je me fixe pour règle de ne pas m’arrêter tant que mon envie de fumer une cigarette n’aura pas disparu, ce qui m’oblige à faire quelques tours du chemin d’enceinte de la clinique au retour. Je termine défoncé. J’aime ça.

Ils m’ont retiré le Cialis et ma libido est totalement, absolument au point mort. Je ne sais même plus ce que c’est. Mais, allez, on trouve ici quelques plus ou moins jeunes et jolies filles. Quelques couples, aussi, qui, paraît-il, se réfugient parfois à l’orée du bois pour forniquer.

Ma famille me rend visite régulièrement. Sans eux, ce serait sans doute l’isolement et le désemparement les plus moribonds. Je ne les remercierai jamais assez.

Voilà. Over. C’est tout pour le moment.

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