Note matinale: croire et vivre

Sans doute bercé par la morosité hivernale, je me suis couché à même pas vingt-et-une heures et ai dormi huit heures comme un bébé. Nous sommes le 12 décembre 2020. L’ambiance en France est triste. Gros titre sur la page du Monde: “la fermeture prolongée des lieux culturels, inéquitable et inquiétante”. Il y a quatre mois jour pour jour, je recommençai à sortir marcher et à tenir ce journal. Sous-vivre ou sur-vivre, drôle d’exergue quand l’objectif est justement simplement vivre, détournée du titre d’une chanson de Daniel Balavoine, cité dans le texte à la fin de l’article, une référence à une interview de F*******: dès le début, mes inspirations et fantômes n’auront échappé à personne. “Sortir de la zone de mort”, titrais-je. Je reviens de loin, de très loin. Personne, pas même sans doute moi-même, ne peut mesurer les abysses dans lesquelles je me suis noyé durant presque un an. Les médicaments m’ont-ils sauvé? J’en ai suffisamment parlé et je n’en suis pas convaincu — tout simplement parce qu’ils ne faisaient qu’un effet très limité. Tel Kurt Cobain dans “Lithium” (1991), c’est en me raccrochant à des formes de déité que j’ai tenu: l’amour de la famille, l’amour de l’art, l’amour de quelqu’un que l’on transforme en Dieu — oui, F*******, bien sûr, et surtout sa musique, autant l’admettre; impossible de me cacher tant mes textes la respire — on pensera ce que l’on veut au regard de mon passé de harceleur, mais c’est la troisième fois dans ma vie que je m’agrippe à son existence et ses mélodies pour remonter la pente: ne me suis-je pas violemment, presque trop violemment, extirpé de la dépression profonde au cours de ces deux jours où j’écoutai peut-être cent cinquante fois de suite la chanson “Mortel” — une chanson d’amour, que cela soit clair une fois de plus — avant d’en écrire une chronique que je me priais de réaliser depuis des années — et dont je reste somme toute assez fier? N’est-ce pas un doux un hasard si, dans la mythologie grecque, Flore est la Déesse du printemps, donc de la renaissance de la Nature? Chacun trouve sa foi où il peut. Il vaut mieux ça, quitte à paraître un tantinet ridicule et répétitif, que décider d’en finir. Je revois ces soirs où, bien au-delà du désespoir, je me passai, “pour voir”, et pour tenir, certaines de ses chansons, incapable d’écouter autre chose. Irais-je jusqu’à dire, pour revenir aux premières lignes écrites il y a quatre mois, que je me suis retourné vers la marche parce que j’avais simplement lu, grâce à l’un de mes frères, qu’elle aimait ça et y voyait une forme de vie, de survie intellectuelle? La vie tient parfois à de petits détails. Un autre croyant du monde du rock, Billy Corgan, chantait en 1998 dans “Crestfallen”:

Who am I to need you
When I’m down?
And where are you
When I need you around?

Je me souviens soudainement que j’ai rêvé d’elle cette nuit: dans un festival de musique, nous nous croisions, je lui demandais si elle m’en voulait, elle me répondait que oui avant d’ajouter que cela ne l’avait pas empêché d’apprécier certains de mes textes — “toi, seule lectrice, en vaut bien mille”, lui glissais-je avant de m’éloigner.

J’aurais aujourd’hui, en pleine quarantaine, de nombreuses raisons objectives d’être profondément déprimé: l’échec de ma trajectoire existentielle (rise and fall, ai-je dû déjà écrire), la modestie de mes conditions matérielles, la solitude, l’absence de sensibilité sensuelle entraînée par la pharmacopée, mes problèmes articulaires, la médiocrité de mon quotidien, le regard que beaucoup de gens portent encore sur le “fou à lier” que j’ai pu être dans un passé pas si lointain… Mais toutes relatives sont toutes ces raisons. C’est la vie, diront certains. Oui, c’est la vie, et la vie c’est vivre, et la vie vaut mieux que la “zone de mort”. De là où je reviens, savez-vous le bonheur qu’il peut y avoir à prendre une douche et à se parfumer le matin, à savourer un café, à sortir marcher dans la féérie froide de décembre, à découvrir ou redécouvrir des livres, des films ou des disques, à revoir des amis perdus de vue ou à s’en faire de nouveaux, à se sentir soutenu par une famille? J’ai vingt ans et je vis dans un chouette studio rempli de disques, j’ai un voisin du dessus chiant qui m’empêche de monter le volume quand je le voudrais en pleine journée (mais comment lui en vouloir quand je pense que durant ce qui a dû lui paraître une éternité il a vécu jour et nuit avec une bête démente et effrayante juste sous ses pieds?), dans quelques mois, peut-être moins, je commencerai à travailler dans des conditions encore inconnues: je suis comme un étudiant un peu lassé de vacances d’hiver un peu longues dans une cité universitaire sans pairs. Devant moi l’inconnu — et, encore, toujours, comme je l’ai toujours dit et écrit ici et là, le champ, le chant des possibles.

Il ne pleut pas encore mais il fait toujours nuit: je sortirais bien m’esbaudir dès maintenant.

Si, dans les mois qui viennent, je ne fais pas les sottises que me conseille ou m’exhibe Stan en permanence, si je ne transforme pas mes religions en objets de harcèlement, tout devrait aller, peut-être pas pour le mieux, mais tout devrait aller.

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s