Je suis sans doute dans ce qu’on appelle la zone des “états mixtes”. Up and down, high and low, where is my mind?, écrivais-je à une époque. Je sens bien que je peux lutter contre les forces gravitaires qui m’attirent vers le bas, ce qui signifie que les antidépresseurs commencent (enfin) à faire effet. Je suis actif intellectuellement plus que physiquement, j’ai des bouffées d’euphorie très temporaires, mais je suis déprimé. Déprimé d’abord par les effets indésirables de mon traitement (fatigue musculaire, manque d’appétit, tremblements, libido anéantie, pertes de mémoire). Déprimé ensuite, surtout, à sentir que, dans l’état actuel du contrôle chimique (heureusement que je ne suis pas les conseils de Stan), je suis peut-être condamné à suivre une trajectoire en créneau (cf. “Non, je ne vais pas mieux (où il est question de l’interprétation du trouble bipolaire, à une sortie de la dépression)”): je suis hanté par la peur de ne me voir sortir de la dépression que pour déboucher sur une nouvelle phase maniaque, possiblement délirante, la peur de ne pas pouvoir stabiliser ma saloperie de maladie. L’année qui vient sera dure. Mon traitement n’est pas encore adapté, c’est une certitude, et les psychiatres luttent depuis un certain temps pour trouver l’ajustement à faire. La quétiapine comme antipsychotique était sans doute une erreur: elle m’a tassé pendant des mois, retenant l’effet de l’antidépresseur, qui désormais risque de me péter à la gueule. L’Abilify comme antipsychotique est mieux, mais génèrent les effets indésirables décrits plus hauts. Le serpent se mord la queue. Où suis-je en ce moment, sur mon échelle thymique: difficile à dire, je me sens comme un volatile en mouvement dans une boîte de Schrödinger — superposition d’états? Bipolarité quantique. Potentiellement mortelle. À moyen terme (quelques semaines sinon quelques jours), il n’est pas impossible, théoriquement comme pratiquement, que je passe directement de –5 à +6 ou +7. Si ça se trouve, j’écrirai bientôt depuis une clinique ou un hôpital pour agitation excessive. +, –, +, – …: le 0 n’est-il pas possible à un moment? L’euthymie, la stabilisation me sont-elle interdites? Ces cycles sont épuisants dans leur durée et leur amplitude sur le long terme. Mais avoir conscience de la zone de risques dans laquelle j’évolue, et l’écrire, est meilleur que l’ignorer. C’est l’évidence même. Et j’ai des gens autour de moi qui veillent. Hein, les gens, si ça vrille, on lui met la camisole de force au Vincent Tristana: il adore les HP de toute façon, il a plein d’infirmières à qui faire la cour et il n’y a rien d’autre à faire que fumer et écouter de la musique. En plus “fumer” c’est souvent fumer du shit, les HP c’est comme le Club Med version tox: nourri, logé, contenu, défoncé. Ça promet d’être encore funky 2021. Il y aura le concert de Suede, ça peut me mettre dans tous mes états (j’ai connu). En plus, probabilité de sortie d’un album de Fishbach? Mon Dieu, tous aux abris, si ça me fait le même électrochoc qu’en 2017, je vais devenir un danger global! Je crois que je me ferai hospitaliser une semaine avant la sortie du disque. Ni plus ni moins. Comment disait mon ami Christophe lorsque nous évoquions l’événement? “On n’est pas sortis de l’auberge!”
Christophe me disait qu’il avait guéri il y a longtemps d’une profonde dépression d’un an sans aucun recours médicamenteux. J’ai déjà posé la question: que ce serait-il passé si j’avais guéri mon burn-out en Amérique du Sud juste en me reposant, sans accepter le bourrage automatique aux produits chimiques? Peut-être mon trouble bipolaire latent se serait-il assagi voire éteint de lui-même et n’aurait jamais explosé comme il l’a fait, et je n’en serais pas là aujourd’hui? Quelle angoisse. Que faire? Écrire? Vivre à travers son combat et sa maladie? Il y a, dans le trouble bipolaire, une excitation à se retrouver de façon absolue face à l’absurdité de l’existence et d’y sentir un besoin de création irrépressible: mais le prix à payer en termes de souffrance et de danger pour soi et pour les autres est lourd.
Have you ever retired a part of the world by mistake? What is really reality for a bipolar-disordered human?