Volte-face. C’est la nouveauté du jour: après l’apathie extrême, les crises d’angoisse sont de retour. Cela faisait longtemps. Et quand je dis “crises d’angoisse”, je parle d’attaques de panique qui ne passent pas même avec 10 mg de Valium. Je suis tellement secoué ce matin que je suis obligé de sortir courir une petite demi-heure, ce qui relève de l’absolument improbable et absurde au vu de mon manque d’activité générale et de ma consommation de tabac des derniers mois. Curieusement, j’y arrive, malgré mon genou gauche branlant. Cela me permet de faire une douce et superficielle sieste après mon frugal repas, mais de laquelle je sors avec la même attaque que le matin. Je me sens obligé de retourner courir: au bas de mon immeuble, je me rends compte qu’il pleut à verse. Je remonte et suis pris d’une soudaine diarrhée. J’écoute trois fois de suite “Overpowered” de Róisín Murphy, allume une cigarette, tremble d’une violence préocuppante, suis parsemé de sueurs froides, vois un arc-en-ciel et l’averse se terminer. Je remets ma tenue de sport et repars finalement courir, pour de bon cette fois-ci. La forêt a commencé à revêtir ses parures d’automne — celles que je préfère. Je termine exténué, en eau dans mon coupe-vent soit-disant respirant, mais réalisant que je suis sans doute allé bien plus vite que le matin. Je serais bien incapable de me situer entre 0 et –10 sur mon échelle thymique. Je ne me comprends plus. J’écris ces lignes avec toujours le même syndrôme parkinsonien, en tout cas.
Je repense à mon équation de l’amour, rédigée hier soir. C’est curieux. Je l’écris et les composantes déboulent. Aujourd’hui, j’ai été en contact par mail à plusieurs reprises avec Christina et nous avons convenu de nous appeler en vidéo prochainement, pour la première fois depuis des années; je sais tellement peu de ce qu’a pu être sa vie amoureuse depuis tout ce temps, si ce n’est qu’elle a sans doute été plus remplie que la mienne, en tout cas remplie d’une façon plus concrète. Par ailleurs, la nuit dernière, encore une fois, justement, Madame Flora Fischbach était le personnage central d’un rêve passionnant dont je me rappelle précisément l’extrait suivant. Il n’était pas question d’amour à la praline cette fois-ci. Je la croisais dans une sorte de non-événement, dans une campagne évoquant les Ardennes, dans une grande salle des fêtes où tout le monde picolait. Elle était entourée d’amis, de connaissances et d’admirateurs mais j’arrivais à attirer son attention: “savez-vous qui je suis?”, lui demandai-je. “Bah non, qui es-tu?” Je prenais mon courage à deux mains: “vous n’avez jamais, il y a un ou deux ans, vu sur internet, je ne sais plus, peut-être à partir de Facebook ou Twitter, un site avec des textes invraisemblables vous concernant?” — “Ah! C’était donc vous!” Et merde. Elle ne disait rien et me fixait en buvant sa bière. Je me rabattais sur, dans le corpus évoqué, le peu de qualité dont je pouvais me rappeler en lui demandant ce qu’elle avait pensé d’un texte où j’évoquais ses premiers grands concerts et en particulier celui dans une église à Arlon, en Belgique, au début du mois de mai 2017, et le jeu dangereux à la frontière entre la raison et la folie auquel je m’adonnais à ce moment précis. “Oui, répondait-elle, je m’en rappelle. Je l’avais bien aimé, c’était toi, blanc ou noir.” Pour la première fois, quelqu’un mettait des couleurs sur mon trouble bipolaire. Intimidé par sa façon de me parler comme si elle me connaissait, je redoutais la suite. “Je suis désolé pour tout le reste…”, bafouillais-je. “Ah oui! C’était vraiment n’importe quoi, tu délirais totalement”, disait-elle en m’entraînant vers le bar où je me pliais un peu malgré moi, reléguant mon traitement dans un petit coin de ma tête, au rituel de la pinte dans un gobelet en plastique. “À un moment j’ai eu peur que vous ne portiez plainte… J’ai tout retiré.” — “Pourquoi tu ne me tutoies pas? Ton compte Facebook n’a pas été désactivé? C’est moi qui l’avais demandé…”, se contentait-elle de répondre, avant d’ajouter, assez rapidement pour que je ne me confondisse pas dans la gêne la plus totale: “mais ne t’en fais pas, la folie, je sais ce que c’est… Allez bois, merde, c’est du passé.” La suite était un peu cocasse: un groupe de mecs s’en prenait pour je ne sais quelle raison à mon frère, dont je n’avais pas jusque là remarqué la présence et qui était passsablement bourré; Fishbach intervenait d’une main de fer pour qu’on lui fiche la paix. “C’est ton frère, ce doux psycho?”, lui demandait-elle ensuite en me désignant. “Il ne t’a pas trop pris la tête avec moi?” Elle me souriait et me donnait une brève accolade avant de rejoindre un groupe d’autres musiciens de la scène française qui se trouvait près du bar…
Il est tard. L’angoisse est toujours là, malgré les deux bref footings de la journée. Un rapport avec le rêve décrit ci-dessus? Non, quand même pas; cette angoisse est la peur de moi-même, de ce que je suis devenu, de ce que je pourrais devenir. Et, peut-être, sans aucun doute, la sensation sous-jacente de cette équation, à la fois ridicule et d’une justesse troublante, écrite hier: a = c + if = ∞ — un sentiment de vide abyssal, une conscience douloureuse des trajectoires sinon des vies manquées, les profonds remords auxquels, bien plus encore dans le cas de Christina, elle me renvoient inévitablement; la peur d’une solitude éternelle. Encore au-delà, si je reverrai certainement Fishbach un jour ou l’autre en concert, il y a la douloureuse conscience et la peur tiraillante que peut-être jamais je ne reverrai Christina, si loin dans le temps et dans l’espace. Face à moi, la pleine lune dans le ciel d’encre noir.
Sur YouTube, je fume un petit joint qui me permet de faire disparaître l’angoisse. J’enchaîne “Makeba” de Jain, “Overpowered” de Róisín Murphy, “Makeba” de Jain, “Overpowered” de Róisín Murphy, … et “Mortel” de Fishbach, quand même. “Mortel”, cette chanson de ma vie, cette chanson de ma mort.
Ha… tu es peut-être en train de remonter péniblement la pente vers un moment (hypo)maniaque.
J’ai eu le même genre de moment mi-aout – insomnie quasi totale façon bad trip pendant plusieurs jours, à se remémorer tous les moments désagréables de ma vie, avec l’angoisse d’être incapable de ressentir quoi que ce soit de positif, incapable d’être heureuse.
Les deux semaines qui ont suivi ont été un peu bizarres, une sorte d’entre-deux, une normalité teintée d’angoisse et de cauchemars.
Et depuis un mois environ, je surfe sur une belle vague hypomaniaque. Je pense à sa fin, forcément trop proche, quand elle s’écrasera sur la plage, et moi avec.
Je te souhaite bien du courage.
LikeLiked by 1 person