J’ai besoin d’écrire, ne serait-ce que pour sortir de l’inactivité, mais écrire me fait souvent souffrir — déversé-je ma souffrance ou l’entretiens-je? La première option prédomine, espérons-le. Écrire sur Fishbach m’a rappelé à quel point durant plus d’un an, entre septembre 2018 et décembre 2019, je n’avais lu aucun livre, vu aucun film, vécu dans la chasteté la plus totale; à l’extérieur du palais de cristaux que j’avais construit pour — dirons-nous — ma princesse imaginaire, il n’y avait que du vide; lorsque les heurts et les cauchemars s’immiscèrent dans ce palais, je m’agrippai à la colère, comme si je me sentais soudain abandonné dans des couloirs de miroirs anastamosés que j’évitais en me bandant les yeux; et lorsque les cristaux volèrent définitivement en éclat, que la réalité me revint en pleine face, me révélant la vacuité de mes fantasmes tout en me projetant dans le vide et l’opprobre alentours, je sombrai dans la dépression. Que me reste-t-il de vraiment réel de cette période, près d’un an après? Le EP datant de 2015 et l’album À Ta Merci datant de 2017, écoutés certainement des milliers de fois. Il y a ainsi de la douleur à constater à quel point une maladie mentale comme le trouble bipolaire peut s’emparer de l’étant, le transfigurer, le défaire pièce à pièce, jusqu’à la nudité, la nullité les plus totales. Plusieurs personnes m’ont déjà demandé si ou comment j’arrivais encore aujourd’hui à écouter Fishbach après être passé par autant de délires la concernant et avec ce que cela a de traumatisant a posteriori. C’est une interrogation légitime. Parce que j’aime ses disques d’une passion extrêmement profonde et que cette passion a survécu, ne s’éteindra jamais? Ma Fishbach imaginaire dissoute et oubliée, ces disques n’en retrouvent d’ailleurs probablement que plus de pureté.
Certaines amours sont éternelles. L’article m’ayant demandé le plus d’effort et fait le plus mal reste celui sur ma vie en Argentine avec Christina et sa fin douloureuse (“Porque te vas”). J’ai encore rêvé d’elle la nuit dernière. Nous étions de nuit, arrêtés sur une aire d’autoroute, et, pendant que je me laissais aller au sommeil sur le siège incliné de la voiture, je l’entendais me dire: “dors mon amour, je suis là pour toi et pour toi seul. Je te guiderai dans la steppe de cette vie sans moi.” Les années passent et Christina reste, au fond de moi.
La juxtaposition peut paraître étrange ou évidente mais si l’on me demande quels furent jusqu’à présent les sommets émotionnels absolus de mon existence, je ne pourrais que répondre les trois années de ma vie — en fait surtout la première — avec Christina, de 2013 à 2015, et les trois mois de ma découverte de Fishbach, de février à mai 2017. Deux idylles totalement différentes mais partageant leur livraison en sale et due forme à la maladie, avec la perte, le deuil, les regrets que cela suppose. Et quand Fishbach chante cette chanson de Bernard Lavilliers, “Petit monstre”, les vers “je t’ai cherché sans le savoir / je t’ai trouvé sans le vouloir” me rappellent tellement ma rencontre avec Christina.
Quelle vie de rêve eût été de ne pas tomber malade, de poursuivre ma vie à l’autre bout du monde avec Christina, tout en découvrant Fishbach…