Ô marche, ô désespoir

Mon premier psychiatre m’avait dit une fois: “attention, pour un jour de phase maniaque, il faut ensuite compter deux jours de dépression.” Il était spécialiste du trouble bipolaire et publiait dans des revues et chez des éditeurs internationaux. Je regarde en arrière et fais un rapide calcul: en 2017, j’ai connu une phase maniaque longue de 5 mois, à laquelle a succédé une phase de dépression longue de… 10 mois. 2 × 5 = 10, CQFD. Ma dernière phase maniaque, avant que je ne tombe dans ma phase de dépression actuelle, a duré… 14 mois. Si la règle est vraie, je ne suis pas dans la merde: j’aurais encore à tirer plus d’un an et demi de dépression.

D’avant la nuit d’avant-hier à hier, je fais un très long et très beau rêve. J’en garde gravé en mémoire la scène d’ouverture. C’est un crépuscule. Je me tiens sur la berge instable d’un profond et puissant torrent charriant d’énormes blocs de roche. Mon ex, Christina, se tient légèrement en retrait, elle m’agrippe par le bras, me dit qu’elle est enceinte et que l’enfant est de moi. Je lui dis que ce n’est pas possible: “nous nous sommes séparés il y a beaucoup trop longtemps.” Mais elle réplique d’une voix douce: “mais non, cela ne fait que quelques mois…” Dans mon sommeil, je me débats pour m’adapter à la transposition temporelle.

Je me réveille dans un état lamentable, avec des idées d’euthanasie pour le futur. J’ai rendez-vous chez mon psychiatre: il augmente la dose de lithium, me dit que marcher ne peut avoir qu’un effet antidépresseur, qu’il faut persévérer, que cela permet la libération d’endorphines. Mais marcher reste une astreinte pesante; je n’y trouve aucun plaisir, aucune gratification. Je pars en début d’après-midi. Au bout de trois cents mètres, et à plusieurs reprises ensuite, je manque de me vautrer contre un arbre ou dans les fougères bordant le chemin. La chute survient finalement, dès lors que le chemin commence à monter. Je reste quelques instants assis comme un con sur le tapis de feuilles mortes, me redresse, repars. “Walk, piece of shit, walk!” — “Sir… Yes… Sir…” La suite est un calvaire indescriptible. J’avance à deux à l’heure, titube. Ce n’est pas de la fatigue physique: je ne suis pas essouflé, je n’ai mal nulle part et ne transpire pas malgré la chaleur. C’est juste que mon cerveau ne veut pas, ne peut pas. Elles sont où les endorphines, putain?! L’idée de la mort me hante et m’angoisse, je pense à mon blog comme à un testament. J’essaye de positiver, repense à ce que j’ai pu dire à mon ancien colocataire hier: sans ma famille, sans mon appartenance à la fonction publique, je serais sans doute à la rue — voire corrélativement bien pire — depuis longtemps.

Je m’enlise dans une sieste légère, me réveille cloué au lit, comme paralysé. Je passe la fin de la journée pétrifié, regardant les éléments matériels qui m’environnent avec l’impression de ne plus comprendre la réalité.

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